ECHEC OU REUSSITE

ECHEC OU REUSSITE

Avons-nous peur de l'échec ou peur de la réussite ? Réussir représente un enjeu de taille pour la personne dans le lien qu'elle a l'habitude d'entretenir avec elle-même et avec les autres.

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Pour Éric Berne, la personne gagnante est celle qui :  « mène à bon terme la réalisation de ses projets, ou qui atteint les buts qu’elle s’est fixée dans la vie ».

Elyane Alleyson ajoute à cette définition l’idée que : « réussit la personne qui est ancrée dans le présent, qui s’accepte telle qu’elle est, avec ses forces et ses faiblesses, qui accepte les difficultés de la vie comme opportunités de croissance, qui est capable de se réjouir de ce qu’elle a et de continuer à se développer »

Et si l'injonction " Ne réussis pas " était (aussi) un évitement ? 

J'ai repris, en résumé, un article d' Alleysson Elyane qui nous montre quelles peurs la personne qui se donne la permission de réussir doit traverser : quand son désir s'inscrit dans la réalité, son rapport aux autres et à elle-même risque de se modifier considérablement, ébranlant la matrice de sens qu'est le scénario de vie.

Quelles sont ces peurs ?


Peur de se retrouver seul, rejeté par ses proches


Au détour des différentes thérapies que j’ai pu accompagner, voici les différentes peurs évoquées par les patients.
La personne a tissé avec les autres des liens qui sont marqués par les représentations que les uns ont des autres. Chaque fois qu’une personne réussit quelque chose pour sa croissance et sa santé physique et psychique, elle fait un pas vers son autonomie. Par exemple, une personne s’affirme là où précédemment elle ne s’affirmait pas. En conséquence, elle n’est plus là où les autres l’attendent : c’est-à-dire qu’elle ne correspond plus à la représentation que les autres se font d’elle.

C’est un phénomène tout à fait observable dans les couples. L’un des partenaires, avec l’aide de la psychothérapie, modifie sa manière d’être en relation avec son ou sa partenaire qui se trouve perturbé(e) par la nouvelle situation. Et souvent se trouve trahi(e) : « Tu n’es pas celle (celui) que j’ai épousé. Je ne te reconnais plus. Si les choses ne redeviennent pas comme avant, il faudra que je prenne des décisions ». L’entourage fait pression pour que la personne renonce à ses avancées.
La perte des liens antérieurs, l’obligation d’en modifier d’autres, et le désir d’en créer de nouveaux génèrent la peur de ce temps entre deux, qui peut être relativement solitaire.
Aussi la personne est placée devant un dilemme : soit elle continue d’avancer vers son autonomie en assumant les conséquences de son développement, soit elle revient en régressant à la situation antérieure afin de maintenir intacts les liens qu’elle avait précédemment.


Lorsque la personne a vécu des difficultés d’attachement dans sa petite enfance, elle a d’autant plus de peur à ce moment-là que la situation présente entre en résonance avec le passé. Toutefois, la différence fondamentale ici est que, là où, dans le passé, la personne subissait passivement, présentement, elle est active.
Elle est confrontée à un réaménagement de ses relations avec ses proches qui va la conduire à renoncer à ses relations antérieures vécues sur un mode symbiotique ou compétitif.


Peur que la réussite ne soit pas à la hauteur de l’imaginaire


Réussir, c’est confronter sa réussite à ses rêves éveillés de réussite et s’apercevoir du décalage qu’il y a entre le rêve et sa propre réalité. Par exemple : ne pas être aussi intelligent, aussi resplendissant, aussi célèbre que ce qu’on l’avait imaginé en rêve. La réussite était attendue comme une narcissisation importante, par exemple, dans le domaine de l’intelligence. Non seulement la personne allait ne plus « se sentir nulle » mais elle pourrait se sentir « super brillante ». Le risque ici est donc celui d’une forte dé-narcissisation.


Et c’est ce qui va arriver ! La réussite réelle ne sera pas conforme au modèle illusoire. Comme l’écrit Luc Ferry : « Rien n’est pire que l’échec sinon la réussite quand elle ne vous comble pas » FERRY, L., Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Le Livre...
. À cause de cette peur de ne pas être comblée par la réussite, la personne risque de saboter la mise en œuvre de sa réussite : un peu comme un enfant qui apprend à marcher, et qui au lieu de se remettre debout à chaque fois qu’il tombe et se fait une bosse, finirait par renoncer à marcher. Ne pas réussir permet de maintenir vivant le fantasme que sa réussite pourrait être conforme à un idéal, de ne pas se confronter à la déception et à ses propres limites, et maintient une idée d’un soi idéalisé.

 

Peur d’être attaqué car maintenant la personne sera visible


Aurélie est venue consulter car elle se dit timide, rougissant dès qu’elle s’adresse à quelqu’un, ne pouvant imaginer prendre la parole dans une réunion. Son objectif est de pouvoir prendre la parole facilement dans les différentes circonstances de sa vie. Au bout d’un certain temps de thérapie, elle a cette image : elle est cachée derrière les ruines d’un château moyenâgeux. Et elle jette un coup d’œil à ce qui se déroule devant elle. Il y a une vaste étendue de prés en pente, bien verts et attirants. Il fait beau et elle a envie de sortir de sa cachette. Lorsqu’elle sort, elle voit face à elle une armée de guerriers avec des arbalètes pointées vers elle. Elle est terrorisée et se terre à nouveau. Mais elle ne veut plus rester cachée, et se rend compte que c’est sa peur de la jalousie et de l’envie des autres qui est devant elle.


Après analyse, elle prend conscience qu’il s’agit de sa propre jalousie et envie à l’égard de ceux qui pouvaient prendre la parole de manière spontanée qu’elle projette sur les autres.
« Mais alors, dit-elle, il va bien y avoir des personnes qui vont ressentir à mon égard des sentiments semblables à ceux que j’ai ressentis à leur égard ? »


On pourrait ici faire l’hypothèse que l’envie et la jalousie sont le résultat de la confrontation, pour l’envieux, à ses propres manquements, et à sa responsabilité de ne pas se saisir des opportunités et de sa puissance d’agir.

 

Peur des possibles que permet la réussite


La réussite libère des possibles, comme l’ouverture de la boîte de Pandore, avec des éléments agréables et d’autres effrayants. Elle donne une sensation de puissance et même de toute-puissance que les personnes peuvent formuler ainsi : peur de « perdre la tête » ou peur de « péter les plombs ». Dans ce cas, la personne ressent la mise en œuvre de sa réussite comme comportant un grave danger car elle se vit comme n’ayant pas un Adulte suffisamment solide pour pouvoir laisser émerger cette peur et la contenir.
Fantasme de toute-puissance


Simone parle dans le groupe de sa réussite universitaire et les autres, tout joyeux pour elle, lui donnent des signes de reconnaissance. Simone les écoute, le visage relativement fermé, sans un sourire. Une fois que les personnes ont terminé, elle leur dit : « C’est sympa, mais vous avez pas vu tous les efforts que j’ai dû fournir ».
Nous regardons ensemble ce qui l’amène à rejeter les signes qu’on vient de lui donner. Elle dit : « Si je réussis, j’ai peur de devenir dingue, d’avoir trop de pouvoir, de faire n’importe quoi ; par exemple, si je maigris, je vais coucher avec tous les hommes ». La personne s’imagine pouvant être prise d’un vertige ascensionnel, toute structure interne ayant volé en éclats.

C’est le mythe d’Icare qui, grisé par le fait de voler, monte de plus en plus haut, n’écoute pas les avertissements de son père sur les dangers que cela représente. La cire qui tient ses ailes fond et il tombe à la mer.


Fantasme de réalisation du désir œdipien


Dans tout ce qu’il fait, Michel est en dessous de ses capacités de réalisation. Dès qu’il s’approche trop de réussir pleinement, il sabote. Lors des premiers moments d’analyse de ces situations répétitives de sabotage, Michel dit qu’il a peur de la mort car finir quelque chose est symbolique de finir sa vie ; il dit : « Il y a plus rien après ». Il fait le lien avec le décès de sa mère lorsqu’il avait quatre ans, et qui a mis un point d’arrêt à son insouciance d’enfant. Aucun changement significatif ne suit cette prise de conscience, aussi comprenons-nous qu’un niveau plus profond reste à élaborer. Lors d’une reprise du même thème, Michel évoque le fait de s’affirmer en tant qu’homme et la puissance que cela lui confère. Et il ajoute « Si je réussis, cela rend possible toutes les réussites, dont celle de coucher avec ma mère. Et même celle où c’est ma mère qui risque de vouloir coucher avec moi, parce que je suis mieux que mon père. C’est presque ça qui est plus angoissant que la répression de mon père ».


Dans leur article Scénario, compulsion de répétition, mythe familial : une réflexion métapsychologique, Abignente, Cesaro et Novellino citent un exemple similaire : « Au cours de sa thérapie apparaît clairement que sa compulsion à fuir répétitivement les situations où elle a une chance de réussir comme femme ou comme enseignante est une réédition d’une situation ancienne : son désir œdipien de contact intense avec le père »?.
Ne pas réussir pourrait donc permettre de ne pas se confronter à la question œdipienne, et, partant, de ne pas accepter la castration, donc ne pas l’élaborer. C’est du même coup éviter la rivalité avec le parent du même sexe, qu’on ne dépasse pas pour se protéger d’un passage à l’acte fantasmé. La limite n’est donc pas posée, mais, pour l’éviter, la personne s’en impose de bien plus restrictives.

 

Peur de l’engagement et des responsabilités que cela va engendrer


Enfin, la personne peut avoir peur de l’engagement et des responsabilités qui s’y attachent. En effet, tant qu’elle n’est pas confrontée à la possibilité réelle de réussir quelque chose au niveau du faire ou de l’être, elle reste à l’abri derrière toutes les justifications pour ne pas exercer sa responsabilité, et laisse perdurer les relations symbiotiques. Elle ne se sent responsable ni de ses émotions, ni de ses pensées, ni de ses actes.


Responsable d’être vivant, d’appartenir à ce monde et d’y tenir sa place. Responsable de s’indigner quand c’est nécessaire. Indignez-vous nous enjoint Stéphane Hessel : « La pire des attitudes est l’indifférence, dire “je n’y suis pour rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence »? HESSEL, S., Indignez-vous. Indigène Editions, 2010,...

 

Pour aller plus loin :