La crise du couple offre une possibilité dangereuse d'évolution

La crise du couple offre une possibilité dangereuse d'évolution

"Chez les Chinois, le mot crise a d'ailleurs le double sens d'occasion et de danger. la crise offre pour ainsi dire une possibilité dangereuse d'évolution. Pour nous, cela consisterait à profiter de l'ouverture pour crer une nouvelle intimité entre les hommes et les femmes; et le danger serait de nous abrutir dans les griefs incessants d'un sexe envers l'autre." Guy Corneau

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Je reprends, dans ce blog, une partie de l'introduction du livre de Guy Corneau : N'y a-t-il pas d'amour heureux .Il m'a semblé que Guy reprend, avec beaucoup d'authenticité à la fois ce qu'il ressent lui-même et les réflexions sur les origines de la crise du couple, sans tomber sur les recettes.

Introduction

Devant un café crème …
« Devant un café crème, je t’ai dit je t’aime … » Voilà l’air que fredonnait la première fille à qui j’ai volé un baiser, oh ! un petit baiser, dans un bois près de la maison de mon enfance. Je devas avoir quatorze ans et mon cœur battait à tout rompre. La chanson, le désir, le parfum de la forêt humide, le sourire de ma bien-aimée, tout fusionnait parfaitement. Avec Jacques Brel chantant son premier amour, j’aurais pu entonner : «  Je volais, je le jure. Je jure que je volais. »
J’étais jeune. Mes ailes s’ouvraient. Je ne voyais pas d’obstacles. L’élan de mon cœur me jetait dans les bras des filles où je pensais comme le poète Aragon trouver un pays. Tout était si facile. Je croyais qu’il me suffirait de rencontrer la bonne partenaire et que le tour serait joué. Mais c’est plutôt l’amour qui m’a joué un tour. Aujourd’hui, j’ai quarante-cinq ans, je vis seul et je n’ai pas d’enfant. J’ai une copine mais nous ne partageons pas le même appartement.
Je pensais que l’amour me faciliterait la vie, il me l’a compliquée infiniment. J’ai connu plusieurs femmes, je me suis aventuré à former quelques couples. Les partenaires que j’ai vraiment aimées ont eu peur de moi et j’ai fui celles qui m’aimaient vraiment. Ma ferveur naïve est venue se briser sur la difficulté du quotidien, les jalousies et les trahisons. Si j’ai passé des années à vouloir aimer à tout prix, je me suis également fermé le cœur pour au moins une décennie. J’ai juré d’être fidèle par amour, mais j’ai aussi juré d’être infidèle par dépit et pour ne plus souffrir.
Si j’ai entrevu en moi l’amant lumineux et transporté, l’amoureux généreux et touché, l’homme engagé et responsable, j’ai aussi rencontré celui qui avait un compte à régler avec les femmes. J’ai côtoyé le vengeur, l’agressif, le possessif, et même le violent, le fuyard, le menteur. Autant de personnages que je ne connaissais pas et que j’aurais souvent préféré ne pas connaître. Et pourtant, ils sont bien là, m’obligeant maintenant à nuancer chacun de mes jugements sur les autres, parce que me sachant capable du meilleur et du pire.
A la longue, je me suis rendu compte que j’aimais pour me débarrasser d’un vide que je sentais en moi. J’offrais mon cœur à tout venant parce que je ne savais qu’en faire. Je désirais qu’une femme me prenne en charge pour ne pas avoir à le faire moi-même. Pour mieux comprendre, j’ai dû replonger dans mon enfance afin d’identifier l’origine de mes difficultés. J’ai exploré le passé de mes partenaires et écouté celui de mes patients.
J’ai compris peu à peu que l’amour est cette immense force de cohésion qui nous jette pêle-mêle les uns sur les autres à travers le désir et la peine. Je sais maintenant qu’on s’y rencontre tout autant qu’on y rencontre quelqu’un d’autre. Tous les obstacles qu’il nous présente nous révèlent à nous-mêmes. En nous blessant, en nous ouvrant, en nous pétrissant pour ainsi dire, il nous prépare simplement à l’accueillir dans toute sa splendeur, nous rendant toujours plus humbles et plus aptes au bonheur.

Aujourd’hui, mon cœur chante à nouveau avec ferveur. Le voyage intérieur que j’ai fait m’a rassuré, rendu serein. L’amour est devenu pour moi un état intérieur qui ne dépend pas d’une partenaire, mais je sais aussi que toujours, chaque jour, il reste à inventer et qu’il n’y a pas de tâche plus noble et plus urgente que celle de renouveler l’amour humain.
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L’amour en guerre
La guerre a éclaté au pays de l’amour. Comment se fait-il qu’il y ait tant de conflits qui surgissent dans nos vies alors que nous cherchons tous et toutes le bonheur ? Comment se fait-il que nous soyons précisément en guerre contre ceux et celles que nous aimons le plus ? Cette guerre sert-elle à quelque chose ? Qui l’a déclarée ? Que pouvons-nous y gagner ? Et, surtout, comment y mettre fin ?
A vrai dire, toutes les guerres du monde, quel que soit le prétexte invoqué, sont des guerres de territoire. La guerre éclate lorsque deux pays prétendent à la souveraineté sur une même portions de terrain, quand les frontières entre deux Etats indépendants ont été mal définies ou ont fini par se confondre avec le temps. Là où les limites claires ont été établies et sont respectées, il n’y a ni confusion ni conflit.
Or, dans le contexte d’une société en plein bouleversement en ce qui concerne la définition des rôles et des limites, la tâche n’est pas des moindres. Un tel état d’incertitude favorise la propagation du conflit sur tous les fronts. Particulièrement sur les terrains de la famille et du couple. Car, en osant remettre en question les rôles définis à l’avance par la société patriarcale, en osant demander ce qu’est un père, une mère, un homme, une femme, un hétérosexuel, un homosexuel, on pouvait parler qu’un conflit ouvert allait finir par toucher le domaine des relations affectives entre les hommes et les femmes.
D’une certaine façon, nous pourrions dire que nous avions absolument besoin de cette guerre pour rompre avec les dynamiques périmées qui définissent nos vies à l’avance. Le conflit amène les êtres à un point d’ébullition. Pour arriver à dissocier certains amalgames et à créer de nouvelles molécules, la nature a besoin de chaleur interne. Cela est aussi vrai sur le plan physique que sur le plan psychologique. Les nouvelles molécules dont il est question ici sont de molécules d’entraide et d’égalité entre les hommes et les femmes.
Mais en même temps il est clair que chaque crise représente un risque. Chez les Chinois, le mot crise a d’ailleurs le double sens d’occasion et de danger. La crise offre pour ainsi dire une possibilité dangereuse d’évolution. Pour nous, cela consisterait à profiter de l’ouverture pour créer une nouvelle intimité entre les hommes et les femmes : et le danger serait de nous abrutir dans les griefs incessants d’un sexe envers l’autre.

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Le bonheur à inventer
Lorsque je donne une conférence sur l’intimité, je commence souvent en demandant aux gens s’ils connaissent au moins un couple heureux. La plupart lèvent la main. Si je vais jusqu’à trois couples, je ne compte plus qu’une dizaine de mains levées dans un groupe de cinq cents personnes. Au-delà de cinq, il n’y a plus guère de mains levées.
Etonnantes statistiques ! On finit par ce demander si le couple n'est pas une chimère, voire une forme de masochisme. Presque tout le monde s'y essaie en espérant y trouver un bonheur qui ne cesse de s'échapper. Comme la carotte pendue au nez de l'âne, l'idée d'un bonheur possible à deux aiguise notre appétit, nous motive, nous fait avancer, mais peut-on espérer l'atteindre un jour ?
J'ai tendance à penser, avec la psychanalyste Jan Bauer, que l'intimité entre les hommes et les femmes n'a jamais vraiment existé. Tout au plus a-t-elle été le fait de quelques couples isolés. Ce n'est pas comme si le bonheur était derrière nous, comme si les générations précédentes avait réussi là où nous-mêmes cafouillons misérablement. Non! Le bonheur du couple, l'intimité entre l'homme et la femme sont devant nous. Ils sont à inventer. Nous ne sommes pas en train de faire un constat d'échec, nous sommes en train de créer quelque chose de neuf. Nous sommes devant un nouvel apprentissage.

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A la conquête de l’intimité
Ce texte prend l’allure d’une réflexion sur le défi que présente l’intimité entre les hommes et les femmes à l’aube du troisième millénaire. Je tente de réfléchir sur les difficultés du parcours. Mon but n’est nullement de proposer la formule magique du bonheur conjugal. Non seulement je ne la possède pas, mais de plus je ne crois pas qu’il y en ait une. Au lieu de m’évertuer à inventer des systèmes qui rendraient l’aventure plus facile, j’essaie de dégager le sens des difficultés. Je m’attache à rendre visibles certains conditionnements en espérant que leur connaissance permette de les dépasser.
En guise de préliminaires, le livre place la crise qui secoue les couples actuels dans le contexte d'une destabilisation du patriarcat, puis nous procédons à l'éclaircissement de quelques notions théoriques que nous utiliserons tout au long du livre, telles que la formation du moi et des complexes parentaux, celle de l'estime de soi et des archétypes de l'animus et de l'anima.
Puis, dans ce que nous pourrions appeler la première et la deuxième partie du livre, nous nous penchons sur les relations père-fille et mère-fils parce qu'elles conditionnent directement les dynamiques entre les sexes. En effet, les carences du passé expliquent en grande partie les impasses du présent. Dans ces chapitres, nous expliquons comment la négligence du père produit "la femme qui aime trop" et comment l'excès de sollicitude maternelle produit "l'homme qui a peur d'aimer". Nous  parlerons également du conflit intérieur que doivent assumer le "bon garçon" et la "bonne fille" dans leur tentative de retrouver l'une le sens de l'initiative et l'autre la capacité d'aimer. J'y vais également de quelques "Réflexions sur le rôle de la mère" parce que j'ai pu constater à de nombreuses reprises combien mon livre "Père manquant, fils manqué .. " avait pu les inquiéter en particulier dans des situations de monoparentalité.
Dans la troisième partie, nous en venons aux rapports amoureux. Le chapitre intitulé "L'amour en peine" nous parle des difficultés du couple quand celui-i patauge dans des répétitions. Il nous dit pourquoi les hommes souffrent de ce que nous pourrions appeler avec un tantinet d'humour le "syndrome de la corde au cou" et les femmes du "syndrome du lasso". Le chapitre suivant "L'amour en joie", parle du défi actuel de l'intimité et offre des éléments de réponse pour nous aider à sortir de la crise. Il pose des questions et propose des attitudes qui peuvent faciliter la création d'un couple viable.
Finalement l'ouvrage se clôt sur la question de "L'intimité avec soi-même", car le nouvel enjeu posé par le contexte contemporain me semble le suivant : comment pourrait-il y avoir d'intimité avec l'autre s'il n'y a pas intimité avec soi ? Le rapport amoureux y apparaît non seulement comme une magnifique occasion de travail sur soi, mais également comme un pont pour une communication avec l'autre et l'univers.
Dans ce livre, je parle principalement des couples hétérosexuels, mais j'ose espérer que les couples homosexuels y touveront leur compte eux aussi car la vie à dux présente d'étonnantes similarités, peu importe l'orientation sexuelle. De même les axes classiques pèr-fille et mère-fils que j'explore sont relatifs. Il va sans dire qu'au jeu de l'amour un homme ne choisit pas toujours une partenaire qui ressemble à sa mère, lle peut très bien porter les traits caractéristiques du père.

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Pour aller plus loin :

Une émission sur France : Philosopher avec David Cronenberg

"On connaît le pire de l'autre mais on l'aime."