PARLER A SA PETITE FILLE

PARLER A SA PETITE FILLE

La perception que nous avons de notre image est parfois troublée par des émotions du passé. Un article pour partir à la recherche de l'Enfant intérieur : dialogue entre une journaliste et Isabelle Crespelle, psychothérapeute et formatrice en analyse transactionnelle.

J’ai fait parler la petite fille en moi

Cinq kilos de plus depuis septembre. Pas le drame du siècle mais un vrai souci. Et une inquiétude : celle de voir réapparaître les kilos perdus, il y a deux ans, après une longue bataille. Comment ai-je eu la volonté de "tenir" un régime strict et sévère pendant dix-huit mois et, brutalement, être redevenue incapable de résister à l’appel du macaron au caramel au moindre stress ?

Isabelle Crespelle me reçoit dans un cabinet chaleureux et m’explique que le travail commence par un contrat passé entre le thérapeute et le client : fixer un objectif et trouver le moyen d’y parvenir. Evidemment, là où une vraie démarche thérapeutique me conduirait à prendre le temps d’ausculter mon désir, cette unique séance m’oblige à faire simple. « Dans quelle direction souhaitez-vous aller aujourd’hui ? me guide la thérapeute. Comprendre la prise de poids ? Ou ausculter votre peur de grossir ? L’une se situe dans le registre de la connaissance ; l’autre, dans celle de l’émotion. Ce n’est pas le même travail. » Mon premier élan est de choisir la compréhension, l’intellect, le rationnel. Mais je pressens que c’est une forme de fuite protectrice.

Allons vers l’émotion. Je retourne donc vers la fillette trop boulotte que ses parents ont mise au régime très tôt. Deux images me viennent : la pesée obligatoire du dimanche matin, sous les yeux de la famille réunie ; et, plus tard, mon père me forçant à enfiler un de ses jeans et claironnant que je ne rentre pas dedans. « Ce sont des situations traumatisantes que vous racontez, intervient Isabelle Crespelle. Cette violence répétitive de la pesée dominicale engendrait chez la petite fille un stress terrible, et manger est l’un des moyens de résorber ce stress. Nous savons tous que les kilos sont une forme de camouflage qui vise à nous protéger des agressions. Quand vous revenez à l’enfant qui subit ces épisodes, que ressentez-vous ? » En vrac sortent la colère, le chagrin, l’humiliation, l’angoisse.

Pour l’analyste transactionnel, notre moi est constitué de trois aspects, appelés les états du moi : le Parent, l’Adulte et l’Enfant (cf ci-dessous).

=> L’Enfant, à un moment de stress, a envie de se gaver de macarons. Alors se noue ce dialogue intérieur.
=> Le Parent : « Tu ne devrais pas » ; l’Enfant rebelle : « M’en fous, je mange quand même » ; le Parent persécuteur : « Tu es nulle. »
=> L’Adulte intervient après : c’est lui qui analyse, a posteriori, et qui constate : « Quand je suis angoissée, je rentre dans ce mode de fonctionnement compulsif. Comment l’empêcher ? »

« Notre moi-Parent, explique Isabelle Crespelle, incorpore ce que nous avons vécu avec nos propres parents – et les modèles parentaux en général. Votre Parent est agressif et, sans jeu de mots, il vous pèse, c’est vous qui le dites. Il reste au fond de vous une fillette terrorisée par le rapport à la nourriture et au poids qui lui a été imposé. Alors le moi-Enfant se rebelle et fait l’inverse de ce que son moi-Parent attend d’elle : elle mange. »

Mais la thérapeute est rassurante : « Le Parent est celui sur lequel il est le plus facile de travailler puisqu’il est extérieur à nous. La petite fille en vous a besoin d’un Parent protecteur. Dans l’exemple de la pesée hebdomadaire, quelle aurait été la parole que vous auriez aimé entendre d’un parent protecteur ? » Je ferme les yeux, j’imagine des parents m’assurant que le poids n’a pas d’importance, qu’ils m’aiment comme je suis, que l’important est de se sentir bien. Cela fait sourire Isabelle Crespelle : « Attention à ne pas idéaliser votre moi-Enfant. Si vos parents avaient tenu ce discours, pensez-vous sincèrement que vous ne vous seriez pas jetée sur des bonbons, comme beaucoup d’enfants ? Le Parent protecteur donne des limites saines. En l’occurrence, le vôtre ne doit pas vous laisser manger n’importe quoi, sinon n’espérez pas mincir. »

Si les séances s’étaient poursuivies, j’aurais donc appris à développer mon Parent protecteur, celui qui empêche mon Enfant intérieur de noyer sa peur dans les tartes au citron. Pas pour en faire une victime sur laquelle s’apitoyer. Simplement pour retrouver la liberté de l’enfance. L’analyse transactionnelle a ceci de formidable qu’elle rend à notre Enfant intérieur sa juste place : celle d’un enfant. Bien sûr, cet outil n’a rien de magique : il demande un travail thérapeutique qui peut prendre du temps. Mais le chemin de l’enfance n’est jamais aussi loin qu’on le croit.
Qu’est-ce que l’analyse transactionnelle ?

L’analyse transactionnelle (AT) a été élaborée par le psychiatre et psychanalyste américain Eric Berne (1910-1970) dans les années 1950. Elle postule qu’il existe trois états du moi : l’Enfant, qui exprime sa spontanéité et sa créativité ; l’Adulte, qui concrétise les pulsions créatrices de l’Enfant ; le Parent, qui respecte les valeurs et prend soin de l’Enfant. Mais ces états ne fonctionnent pas toujours harmonieusement.

• L’Enfant blessé se soumet ou se rebelle, étouffant l’Enfant libre.
• Le Parent, s’il a incorporé un modèle persécuteur ou laxiste, ne saura pas se donner les protections ou permissions appropriées.

L’AT permet de prendre conscience de son fonctionnement psychologique puis d’atteindre son objectif : retrouver le moi-Enfant libre, renforcer le moi-Parent défaillant, développer, structurer et consolider l’Adulte. Cette thérapie s’adresse tout particulièrement à ceux qui souffrent dans leurs relations aux autres.

Lien vers l'article de Psychologies.com

Pour aller plus loin

  • Introduction à l'Analyse Transactionnelle : Fichier cours 101
  • “Manuel d’analyse transactionnelle" de Ian Stewart et Vann Joines.Un ouvrage d’initiation clair et complet, enrichi de nombreux exemples et d’exercices pour s’entraîner seul ou en groupe (InterEditions, 2000).

Réparer son enfance : Arnaud Riou