Regards de Roland Gori, psychanalyste, sur le confinement

Regards de Roland Gori, psychanalyste, sur le confinement

« La valeur de tous les états morbides consiste en ceci qu’ils montrent sous un verre grossissant certaines conditions qui, bien que normales, sont difficilement visibles à l’état normal» (Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance)

Quelques extraits de l'entretien réalisé par Agathe L'hôte (http://www.lamarseillaise.fr/)

Quel regard portez-vous, en tant que psychanalyste, sur la situation actuelle ?

Roland Gori : Ça a été un mouvement d'effraction et de sidération après l'annonce d'une nouvelle incroyable qui venait bouleverser tous nos cadres de pensée individuels et sociaux. Par exemple, on a commencé par nous dire que les retraites, il fallait absolument les réformer parce qu'on allait se retrouver en déficit de quelques milliards, qu'il fallait une austérité indispensable au bon fonctionnement des services de l'État et autres... Et puis d'un coup, on parle en centaine de milliards. C'est-à-dire que l'on s'aperçoit que toutes les manières que l'on avait de se représenter le monde, l'espace, la vie, le rapport aux uns et aux autres ont été complètement bouleversées et ce, assez rapidement. Bien que l'on ait eu le temps d'avoir quelques informations qui nous préparaient à des mesures de santé publique, on nous racontait encore il n'y a pas très longtemps que la France pourrait faire face à l'épidémie, qu'il n'y avait pas lieu de s'affoler, que nous avions le matériel nécessaire etc. Or, tout ça s'est révélé assez mensonger puisque c'est contradictoire. D'ailleurs, des paroles contradictoires, on en a encore aujourd'hui puisqu'on nous dit en même temps qu'il faut absolument se confiner, éviter toutes les interactions sociales mais on nous invite à aller voter. On nous dit qu'il est extrêmement important de prendre des précautions en se lavant les mains régulièrement mais il n'y a plus de gel hydroalcoolique dans les pharmacies, pareil pour les gants et les anti-inflammatoires. Donc nous sommes quand même face à un chaos à la fois social et subjectif, consécutif à l'irruption d'une catastrophe sanitaire que nous n'étions pas disposés et prêts à accueillir.

[...]

Quelles peuvent-être les conséquences psychologiques du confinement ?

R.G. : Les effets du confinement sont d'ordres différents selon la place sociale que l'on occupe, l'activité que l'on a et l'âge que l'on a. Il n'empêche que pour l'instant ,les effets que l'on connaît, ce sont des effets de déstabilisation quand on ne sait pas trop par exemple s'il faut aller travailler ou non. Psychologiquement, avant même de regarder les effets du confinement, il faut regarder les effets du traumatisme que constitue l'irruption de cette pandémie et des effets de sidération qu'elle procure. Donc là, on est en termes psychopathologiques dans ce que l'on appelle un stress post-traumatique qui se traduit chez l'individu par de la peur, de la panique, de l'irritabilité avec parfois un effondrement et une dépression ou d'autres fois de l'agressivité. Cela provoque aussi bien des mouvements de panique hypocondriaque et phobique par rapport aux microbes et à l'autre qui devient porteur de maladie et de mort... Le tout avec des cauchemars, des troubles du sommeil, des moments d'angoisse ou a contrario des compulsions à faire la fête.

Tout cela à d'ailleurs été décrit au IVe siècle avant J-C. par Thucydide à propos de la peste à Athènes. Quand les gens sentent qu'il y a une menace de mort et l'imminence d'une fin de vie, ils plongent un peu dans le chaos social et je pense que le problème du confinement est à la fois un moment de repli individuel qui permet tout de même de changer son rapport au temps et à l'urgence puisqu'il va de soi que ce n'est plus la productivité et l'argent qui vont compter, mais sauver sa peau et celle des siens. Ce n'est plus le même calendrier ni le même agenda.

Le problème qui se pose ici est quels vont être les effets psychologiques du confinement sur le long terme ? Pour l'instant on n'en sait rien, bien que la littérature internationale nous a montré que les jeunes entre 18 et 30 ans supportent mal d'être enfermés, ce qui est normal. Les enfants, il va falloir les occuper et d'ailleurs je trouve ça complètement stupide qu'on conseille de ne pas les mettre devant les écrans à regarder des dessins animés parce qu'il faut bien leur trouver des moyens d'apaisement aussi. Enfin, il y a les personnes âgées qui sont quand même déjà dans une certaine solitude sociale et qui risquent de désespérer de ne pas voir les enfants, petits-enfants et leurs amis. Là, on est en menace d'agonie sociale.

Avoir du lien social à travers les réseaux et le virtuel, est-ce une bonne chose ?

R.G. : De mon point de vue, c'est une excellente chose. Je crois qu'il faut bien voir que les réseaux sociaux et d'une manière générale la numérisation du monde, la digitalisation des relations sociales sont insuffisantes voir pathogènes en temps normal, comme j'ai pu l'écrire, où on se retrouve seul ensemble parce qu'on a une perte du contact sensible, corporel, de regard et de la présence charnelle, ce qui est très problématique et laisse place à des pathologies graves, comme au Japon avec l'Hikikomori. Donc en temps normal, ça a des effets délétères et quelques avantages mais en temps de crise, il est primordial d'avoir une distance physique mais une proximité sociale par le vecteur des réseaux sociaux divers et variés. Bien qu'encore une fois, ça ne peut pas remplacer les relations personnelles, charnelles etc. c'est une évidence puisque la démocratie, c'est le partage du sensible. Mais, en cette période, c'est une bonne solution palliative.

Que faites-vous pour vous occuper pendant le confinement ?

R.G. : D'abord, je reçois mes patients qui le souhaitent par téléphone, je réponds à des interviews, à mes copains. Je prends des nouvelles de ceux qui vivent à l'extérieur et en particulier de mes amis italiens mais j'écris aussi énormément. Il m'arrive aussi de regarder des films à la télévision et les informations, mais je m'aperçois que les infos provoquent la panique, j'ai eu parlé "d'infobésité" et on est en plein dedans. On voit bien comment la télévision nous transmet les informations et de ce point de vue, la transparence est très bien, mais on s'aperçoit que l'on reçoit toutes ces informations qui produisent moins de réassurance ou de conseils que d'angoisse. Là aussi parce qu'on ne nous a pas appris à avoir un dispositif de traitement de l'information, donc on voit bien la carence de l'éducation sociale et civique. C'est-à-dire que l'on reçoit énormément d'informations, mais il y aurait nécessité de les hiérarchiser pour leur donner une cohérence, un sens et leur éviter d'être autant contradictoires que celles que nous subissons de la part du gouvernement, ce qui n'est pas le cas d'experts de la santé et notamment de la part du directeur général de la santé que je trouve très bien.

Un clin d'oeil humoristique : Confinement en couple

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