Quand le travail perd tout son sens et qu'il fait prendre conscience du sens de notre vie
Voici un témoignage Jean-Michel PHILIPPON que je trouve émouvant quant à la prise de conscience.
*Merci, mais demain je pars.*
« Il y a 8 ans, quand je suis entré dans cette boîte, la rémunération était un facteur important de motivation pour moi. J’avais le bon CV et mes compétences correspondaient bien au poste qui m’était offert. A l’époque le « deal » était clair. Je mettais au service de l’entreprise qui m’embauchait, mon savoir-faire, mon temps et mon énergie, tout cela en contrepartie de moyens, de ressources et d’un salaire. Tout était explicite dans mon contrat de travail, et cela me convenait parfaitement.
*C’était en oubliant l’essentiel.*
Petit à petit, au fil des années, mon travail s’est transformé en une très mauvaise aventure dans laquelle je n’ai plus aujourd’hui ni l’envie ni l’énergie de m’investir. Je ne suis pas venu dans cette entreprise pour vivre ce que l’on me fait vivre, et aujourd’hui ma rémunération n’est vraiment plus ma priorité.
Actuellement je suis 2 jours en télétravail, le lundi et le vendredi. Les autres jours l’entreprise « m’accueille » en mettant à ma disposition un bureau impersonnel au milieu d’une dizaine d’autres. Ils appellent cela le « Flex office », sous prétexte que cette « formule » favoriserait les échanges et la coopération avec l’ensemble des collaborateurs. J’avais déjà connu cela avec « l’open space » où l’alibi d’une meilleure ambiance de travail cachait en fait une économie substantielle d’aménagement de bureaux. Eh oui, les cloisons c’est pas bon, mais c’est surtout que ça coûte bonbon !
Quand j’arrive le matin, un logiciel de gestion m’affecte un numéro de bureau. La direction des ressources humaines souhaite nous faire vivre une « expérience collaborateur moderne ». Ah c’est certain qu’elle est moderne ! J’ai l’impression d’être un robot qui vient se « pluguer » à sa borne de connexion. Car il faut que je vous dise que j’arrive le plus souvent dans un espace au ¾ vide et que les personnes présentes je ne les connais pas et sont rarement les mêmes. Difficile de créer des liens, surtout que nous sommes tous casqués les yeux rivés sur nos écrans. La raison de cela est « l’hybridation du travail », c’est-à-dire un savant et dangereux mélange entre présentiel et distanciel. Là, pas là, on ne sait plus.
> *"Le lieu, l’espace et le temps se confondent et nous détachent des autres et de nous-même."*
Il faut savoir qu’actuellement je travaille uniquement en mode projet avec des équipes transverses. Cela revient à dire que les équipes ne sont constituées que le temps de réaliser un « livrable » et que les gens ne sont ensemble que par leurs « expertises individuelles ». Dans cette configuration, aucune des équipes auxquelles j’appartiens n’est totalement présente sur site ou en télétravail. Au final, sur mon bureau vide, je me connecte à Teams, Google meet, Zoom ou autre pour être avec ceux qui ne sont pas là, transformant le flex office en un espace de zombies, style « Walking dead » ou plutôt « Seating dead ». Il n’y a même plus personne au baby-foot ni à la machine à café !
*"Sur nos chaises ergonomiques nous sommes tous morts, mais nous ne le savons pas !"*
Que ce soit sur site ou à la maison, je suis connecté « H 24 ». Mon seul horizon est mon écran dont je ne vois même plus le fond ! Mes relations de travail ne sont que des têtes plus ou moins nettes, déformées par un fond artificiel qui vient se superposer sur des visages inconnus, tristes et fatigués. Pour ménager la "bande passante" nous sommes même parfois « invités » à couper notre caméra, et à disparaitre dans un patchwork de rectangles noirs profonds dignes d’une œuvre de Pierre Soulage.
*"Ils ont souhaité me rendre « autonome » , ils m’ont esseulé. "*
Je suis seul au milieu de gens seuls. Ensemble nous sommes seuls et sommes plongés dans les profondeurs froides de l’opérationnalité de notre projet, quand ce n’est pas dans le néant abyssal de l’enchaînement ininterrompu de réunions inutiles et stériles. Je n’ai même plus de manager à qui parler de ma solitude. Je n’ai que des « Project leaders », qui perdus dans le sens même de leur propre mission sont bien incapables de m’aider à retrouver le sens de mon travail.
Ce nouveau mode de travail, boosté par l’opportunité inattendue du Covid, aurait augmenté la productivité dit-on. Mais à quel prix ?
*"Pour moi, le travail dans une entreprise ce n’est pas à ce prix-là !"*
Certes, j’ai besoin d’une rémunération, cela est important pour vivre correctement et confortablement. Mais j’ai aussi besoin et envie de vivre autre chose dans mon travail. Je ne suis pas qu’un « fournisseur » de compétences digitalisées. Je suis un humain, qui a besoin de reconnaissance, de liens, d’appartenance, de proximité, d’entraide, de solidarité, de générosité, de plaisir et de fierté. Cela me semble tellement évident aujourd’hui, j’ai besoin d’humanité.
*"Ce n’est pas la triste réalité du travail qui me fait partir, mais sa triste virtualité."*
Je ne veux pas perdre mon identité, mon unicité, mon enthousiasme et mon énergie au profit d’une docile intelligence devenue artificielle et servant une productivité du « quoi qu’il en coûte ».
*"Demain, je pars pour rester humain.* »
Texte rédigé d’après les propos récents d’un de mes clients dans le cadre d’un accompagnement en coaching professionnel qui met en lumière le quotidien de certains collaborateurs durant cette période très délicate de transformation du monde du travail et des démissions qui s’enchaînent.
*Soyons tous vigilants, restons humains !*
Pour aller plus loin
"Désengagement au travail, quand le baby-foot ne suffit plus" ( https://librairie.gereso.com/livre-management/management-et-leadership/desengagement-au-travail-quand-le-baby-foot-ne-suffit-plus-baby/ ) Editions GERESO